jeudi 23 octobre 2025

Soleil tiède (film)

Sous un soleil en noir et blanc, beau à se dorer la pilule, beau à refléter la lame d’un couteau mortel. L’un comme l’autre, ne sont-ils pas voués à la même absurdité ? Aimer, désirer, contempler, tuer. Meursault a la réponse toute faite à cette question : un haussement d’épaules, un « je ne sais pas » auquel Bartleby, issu de la même engeance dirait qu’il préfèrerait ne pas.

C’est beau.

Beau et charmant oui, parce que le soleil c’est aussi le lieu où la pauvreté est plus agréable. Et qu’ils sont beaux dans leur misère ces orientaux. Alger au milieu du XXème siècle est sans doute un tableau idéal de français qui peuvent se pavaner à la fois dans le luxe des bains, des immeubles à l’occidentale, tout en éprouvant une sorte de paternalisme face au charme oriental de l’Algérie.

C’est difficile à entendre, non ? En 2025.

La position de Camus vis-à-vis de l’Algérie a toujours été complexe. Fils d’un pied noir qui ne saura jamais prendre réellement position sur le comportement colonialiste de la France et qui, par L’Etranger pose ses grosses savates et interroge encore aujourd’hui : pour qui il se prend cet étranger qui tue un arabe ? Ou plutôt, pour qui il se prend ce français qui n’a pas pleuré maman ?

Passer du livre au film

Qu’importe la question que vous choisirez — le livre en pose beaucoup, il faudra bien que chacun y trouve son propre axe et réponde tout seul à ses interrogations. Parce qu’encore une fois, si L’Etranger interroge, il n’est là que pour poser une somme de constats. Il laisse Meursault voguer au gré de son pessimisme, en pure abstraction littéraire, un objet philosophique sur pattes, loin d’être incarné.

Et c’est par là qu’on touche au coeur du livre et de sa difficulté à être abordé en tant qu’objet cinématographique. Aucun des personnages n’est véritablement incarné. Ils sont tous des choses stéréotypées, des objets philosophiques qui abordent tous une manière d’appartenir à l’existence. Ils n’ont pas de passé pas plus qu’ils n’ont d’avenir. Leurs mots sont des fulgurances dans le texte (et Camus est doué dans la punchline littéraire).

On pourrait dire que c’est un véritable cadeau à monter en images, parce que ce livre donne l’occasion à un cinéaste de créer sa propre version de Meursault, de donner son propre souffle au geste de la mort. C’est aussi suffisamment abstrait pour supposer les lieux, récréer une Alger à son goût, ses rues et ses intérieurs.

En miroir, L’Etranger est un poison. Le livre pèse beaucoup dans l’inconscient français. Presque tout le monde a lu le livre à l’école et en a un souvenir flottant où maman est morte un jour, comme ça, où un arabe a été tué sur une plage, comme ça. On s’attend tous à quelque chose, on est curieux à l’idée de voir Meursault, cet espèce de dadet mutique, devenir réel.

L’impossible interprétation du silence

Mais voilà, Meursault souffre de ce qu’il est : un concept. Il n’a pas vraiment de corps et ses paroles font difficilement mouches dans un dialogue réel. Si je ne doute pas du travail que Benjamin Voisin a fourni dans son interprétation, il peine à exister à l’écran. Du début à la fin, on y croit pas. Son jeu tient du poseur, d’une sorte d’adolescent qui se regarde jouer, avec une moue boudeuse sur les lèvres et qui, dans un certain sens paraît se trouver assez cool, à sortir les répliques de Camus.

Dans la même veine, Pierre Lottin tire sur la corde de son exécution, en fait des caisses de façon beaucoup théâtrale, sorte de Fernandel au milieu du cirque algérien.

Finalement seule Rebecca Marder tire réellement son épingle du jeu, dans la justesse de sa Marie. Bizarrement c’est aussi l’un des seuls personnages qui s’est vu offert une promotion dans son passage du livre (où elle est quasi-inexistante) au film (où elle devient centrale).

Qu’apporte cette adaptation ?

Cependant, je ne dirai pas que le gros soucis du film se tient sur sa base de personnages en roue libre. Le problème est ailleurs, une sorte de gêne en tant que spectateur à ce qu’est cet objet filmique.

Où veut en venir Ozon ? C’est ma grande question.

Adapter Camus, c’est se confronter obligatoirement à l’Algérie colonisée, à la position politique qu’a tenu Camus (ou n’a pas tenu) et surtout à ce qu’est l’Algérie ces 80 ans plus tard. On ne peut pas juste proposer une retranscription mot à mot de l’Etranger. On ne peut pas faire un joli tableau en noir et blanc qui, aussi esthétique et économique qu’il est, fait du film une sorte d’énergumène bancal.

Et si je parle de transcription mot à mot, j’entends par là qu’Ozon a ramassé chaque ligne de dialogue (et il y en a peu) et les a fait réciter à son casting.

Et après ? Pas grand chose.

Des bizarreries qui ne vont pas au bout : son plaisir à insérer quelques plans très homo-érotique au long du film. Pourquoi pas. Une lecture sous le prisme d’une homosexualité refoulée de Meursault, une critique de la vision très occidentale du bel arabe aux yeux de biche, je suis totalement preneuse. Mais non, le film avorte ça, rendant absolument gratuit sa caméra toute sensuelle sur l’aisselle et l’oeil noir de « l’arabe » du livre.

J’ai cru également à une critique de la ségrégation au sein d’Alger, avec ses arabes réduits au rang d’indigènes. Et il y a avait matière à parler de ça. Les nouvelles générations de chercheurs ouvrent enfin les vannes sur cette histoire balayée par la France. Il existe de plus en plus de livres, d’articles ou de témoignages sur ce noeud historique.

Mais non et toujours non.

On pourra arguer que le cinéaste n’est pas obligé de prendre partie d’un côté et de l’autre. Soit, mais alors pourquoi débuter son film sur la description d’une Alger colonisée ? Pourquoi donner un nom à l’arabe du livre ? Pourquoi lancer ses miettes pour mieux partir en courant ? Une drôle d’impression qu’Ozon a peur de ce qu’il pourrait dire, peur de fâcher ceci ou cela en osant dire quelque chose. Ça et puis le sentiment d’une fascination d’un autre temps pour la misère orientale.

Parce que le film est gênant dans sa manière de faire de tout ce à quoi il touche, une scène pittoresque de l’Algérie. Les gamins miséreux qui jouent au ballon, c’est si charmant. Des femmes voilée de blanc qui se baladent entre elles au milieu de dames occidentales, comme c’est bucolique. Tout à l’air d’être vu par un vieux colon français.

Est-ce une façon de prendre le parti de Meursault ? Peut-être, mais comme le film ne va jamais au bout d’un concept ou d’un autre, on finit, en tant que spectateur à combler les trous.

À la fin du Cinexperience, François Ozon a dit qu’il serait très heureux si après avoir vu son film on voulait relire L’Etranger de Camus. Relire un livre après en avoir vu l’adaptation est une chose commune. Cependant, relire le livre parce que le film est à ce point là casse gueule et truffé d’incohérences que nous sommes obligés, en tant que spectateur, de reprendre depuis le début le maillage premier, c’est autre chose.

Alors oui, cette adaptation m’aura au moins donné le goût de rouvrir mon Camus, de reprendre depuis le début l’itinéraire de cet auteur compliqué. Il m’aura aussi donné envie de me replonger tête la première dans toute l’histoire coloniale de l’Algérie et de réfléchir à ce qu’elle est aujourd’hui. Mais pas pour les bonnes raisons.

Cette adaptation enfin, manque de justesse parce qu’elle n’apporte pas grand chose au livre. C’est un film somme toute assez tiède qui ravira peut-être ceux qui n’ont pas lu le livre ou qui ne s’interrogent pas vraiment sur l’Algérie. Pour les autres, comme moi, j’imagine que le film est assez crispant et manque soit de générosité soit d’une audace réelle.

[L'Etranger de François Ozon, sorti le 29/10/2025
L'Etranger d'Albert Camus, éditions Gallimard, 19/05/1942
Emmenez-moi de Charles Aznavour, 1967]

Tck.

dimanche 12 octobre 2025

Et si on râlait sur l'art ? (livre)

L’art en cheval de guerre et ce depuis longtemps. Depuis l’enfance, depuis le ventre de la mère. Tout le monde y est sensible à différents degrés. Un conte magnifique, n’est-ce pas ? Alors qu’il n’est qu’un faux-semblant ; une forêt qui cache une réalité moins gaie et beaucoup plus sarcastique. L’amour de l’art est une culture, un apprentissage dont le plafond de verre est le même que celui qui se cache derrière le terme de « méritocratie. »

Il va falloir qu’on s’explique. Partons de Bourdieu, tient.

Sans être axée sous le prisme franco-français, l’analyse sociologique que l’on trouve ici, parcourt la France, certes, mais aussi la Hollande, la Grèce ou encore la Pologne, pour dresser ensuite le portrait des visiteurs des musées. Qui sont-ils ou plutôt, qui sommes-nous, nous marcheurs du White Cube ?

Des bourgeois, des faiseurs d’habitus !

Les classes populaires (ouvriers, agriculteurs) sont, on ne s’étonne pas, les grandes oubliées. Les étudiants, les retraités font la part belle, c’est un fait, mais en plissant les yeux on remarque qu’ils ne viennent pas de n’importe où. Le minimum du baccalauréat, voire les études supérieures et la bien sûr la catégorie socioprofessionnelle des parents, élevée.

On ne nous apprend rien. On le sait, dans notre quart de siècle, que les musées ne sont pas accessibles. Parce que ça coûte cher parfois, ça nécessite du temps et il faut pouvoir y accéder.

Quelques témoignages, égrainés au fil des pages, nous montrent le malaise de ceux qui n’ont pas les codes. Ils voudraient des fléchages, plus de pédagogie et même un conférencier pour leur expliquer. À contrario, les initiés eux, se plaignent qu’il y ait trop d’indications. Pour eux, la visite du musée est une liberté, une flânerie, une rêverie.

Mais pour qui est cette rêverie en fait ?

Il faut se mettre à la place du monsieur-tout-le-monde, qui arrive au musée, sans avoir l’oeil affuté. Il erre de tableau en tableau aperçoit un petit cartel qui l’informe succinctement sur le titre, la date et la technique. Avec un peu de chance, le musée a été jusqu’à en quelques paragraphes, sur les murs, une brève histoire de la vie de l’artiste présenté.

Est-ce que ça suffit ? Savoir qui est Rothko est-ce que cela aide à s’émouvoir devant un Rothko ? J’aurai bêtement envie de dire qu’il faut même passer outre ça et juste se planter devant la toile et s’émerveiller de l’aplat. Mais s’émerveille-t-on aussi facilement ? Certains argueront qu’on a bien su adorer les icônes représentants Jésus. Le raccourcit est trop facile, de la même manière qu’on essai de faire croire au monde entier que l’art est pour tout le monde. Ce qui me semble être un ignoble mensonge.


En se dégageant d’abord de notre regard occidental et prenant appui sur Les formes du visible de Descola, nous serons bien forcés de constater que l’imagerie du monde n’appartient pas à ce que nous reconnaissons de prime à bord. Il y a quelque chose qui va au-delà de nos grands tableaux exposés au Louvre. Des arts que nous ne comprenons pas forcément, qu’ils viennent du fin fond du Vietnam comme de la culture Bambara. Tout le monde n’a pas la finesse pour apprécier le caractère de ces cultures. Par manque de connaissance, d’esprit critique ou d’ouverture. D’ailleurs il suffira de voir l’aile africaine du Louvre et la tranquillité de ses allées, alors même que l’art grec lui, réunit une masse noire de touristes.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on nous a appris à apprécier les arts occidentaux depuis l’enfance et plus particulièrement ce qui est figuratif. Les sculptures de Michel-Ange, les tableaux de Velázquez ou Delacroix font parti de notre quotidien, de nos livres d’histoire. Nous les avons digérés, intégrés.

Or comme nous le rappelle le livre page 81 : « dépourvus de catégories de perception spécifiques, ils [les non-initiés] ne peuvent appliquer aux oeuvres d’autre « chiffre » que celui qui leur permet d’appréhender les objets de leur environnement quotidien comme dotés de sens. »

Tout le problème se situe donc au niveau de ce noeud : l’éducation. La jeunesse manque cruellement d’une véritable pédagogie autour de la construction critique du regard, qui l’empêche de développer une réelle approche des oeuvres au-delà d’un « c’est beau » / « c’est pas beau » ou pire, qui se borgne à chercher dans une image abstraite, le reflet d’une perception figurative à la manière d’un test de Rorschach.

Les arts même s’ils apparaissent sous le nom « d’arts plastiques » au collège, sont relégués en arrière plan. Ils sont devenus une manière de singer l’art, avec cette étrange façon de demander aux professeurs de développer la créativité et l’expérimentation de leurs élèves, sans leur donner l’appréhension réellement technique de l’art, finissant par transformer ça en cours d’art thérapie ou de développement personnel. À croire que l’apprentissage académique du trait et de l’histoire des arts seraient une aberration.

À force de refuser de voir les arts comme un réel apprentissage, aussi complexe que sont les mathématiques ou l’histoire, on en arrivé au point où nous devons constamment nous confronter à des stéréotypes qui visent à considérer que l’art contemporain est « content pour rien » ou que « mon enfant de 6 ans pourrait le faire. »

Si on enseignait mieux l’histoire des arts, il serait plus aisé pour les visiteurs de comprendre que pour en arriver à l’abstraction d’un Nicolas de Staël ou à la simplicité d’un geste de Fontana, il a fallu avant cela digérer tout un pan de l’histoire de l’Art, le défaire et réapprendre au regard l’usure du monde, jusqu’à l’usure de nouveaux paradigme.

Mais pour cela il faudrait bien évidemment arrêter de prendre les professeurs d’arts plastiques du collège pour des guignols juste bon à faire faire des DIY à leurs élèves ou à expérimenter sans jamais rien inculquer derrière. Alors peut-être qu’enfin la vision mélodramatique de l’artiste bohème ou celle de « l’art est une passion et pas un travail » s’effilochera devant le regard de spectateurs mieux avertis et plus agisseurs que regardeur passifs.

Mais avec des si je referais bien le monde.

(oui j’ai des griefs contre les arts plastiques au collège, non contre les professeurs qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, mais une partie du rectorat qui a l’air d’avoir une vision de l’art façon le sketch des inconnus sur l’Artitste.)

[L'amour de l'Art de Pierre Bourdieu & Alain Darbel éditions de Minuit, 1966
Les formes du visible de Philippe Descola, éditions du Seuil 02/09/2021
Lucio Fontana en train de créer une toile, 1962]

Tck.

jeudi 9 octobre 2025

L'homme qui marche (film)


On dit que l’ennui est la porte ouverte sur l’imaginaire et la rêverie. Qu’il nous en manque aujourd’hui, parce que nos existences sont trop rapide. Les enfants ont trop d’occupations et les adultes sont voués à courir après le temps. Métro, boulot, dodo, la rengaine du pathétique par excellence est devenue une roue de hamster de laquelle il est bien difficile de s’extraire.

Combien rêverait de pouvoir faire un pas de côté, de se défaire du flot de divertissements et du numérique. Prendre du temps pour soi, revenir à une forme de nudité existentielle.

Même les moines cisterciens n’y résisteraient pas, des dollars dans les yeux devant la recrudescence des envies monacales de notre ère.

Le fantasme de la vie simple et des déserts sont l’apanage de celui qui n’y est pas. Mais c’est ce qui permet également d’être coi devant un documentaire de Wáng Bīng où la misère humaine frôle le sublime. Parce que L’homme sans nom l’est justement.

Sans mot, sans nom. Notre gardien du silence, nous le suivons. On essaie de se faire discret même si parfois son regard vers la caméra nous rappelle qu’il sait qu’il n’est pas seul. On s’excuserait presque d’être là. Il faut retenir son souffle et ça, alors même qu’on ne fait que regarder un écran.

Sur la route d’une Chine anonyme, de poussière et de sentiers vides, notre homme marche.

Sorte de céleste clochard, avec ses godasses et sa vieille chapka, il fourre à l’aide d’une pelle, du crottin de cheval dans un sac de chantier. Le ton est donné : l’homme christique, nous allons l’accompagner dans le menu de ses gestes, de ses activités. Il tasse la terre, casse du bois, ramasse des trucs ou prépare des soupes de légumes accompagnées de riz. C’est banal au point d’être oubliable.

Mais le rien chez Wáng Bīng devient une fascination à la frontière du voyeurisme. La beauté réside dans sa capacité à ne jamais dépasser la ligne. Parce qu’il n’y a pas de mot, pas de nom. Parce qu’il n’y a pas de jugement, alors même que le cadre nous a appris qu’aucune image n’est neutre.

Alors politique ? Poétique plutôt. Dans la façon dont la caméra se tient humblement au milieu de la tanière troglodyte de notre errant. Il retire enfin sa chapka. Son visage est vieux mais aussi sans âge et finalement se sont des doigts noirâtres et épais, fourrés de mitaines qui en disent le plus. Ça et ce bol ébréché jusqu’à l’os dans lequel il mange son riz. Un sens des détails, jusqu’à la fortune de ces sacs en plastiques qui décorent son antre.

92 minutes pour cueillir l’essence d’une existence. Suffisamment pour l’avoir à jamais dans notre paysage mental et mais pas trop pour ne pas tomber dans le regard vulgaire d’une personne aisée qui fixerait un marginal.

L’errance est une grâce qui n’est pas donnée à tout le monde et qui ne se cultive que par l’abnégation du soi, pour le monde. Cependant, ne tombons pas non plus dans l’arrogance occidentale qui nous pousse à lever la misère en poésie lorsqu’elle ne vient pas de chez nous.

La pauvreté est filmée dans son labeur. On l’admire, mais on ne voudrait pas être à sa place. Le dénuement et la solitude de cet homme sans nom est également une critique d’une société qui balaie et dépose sur le bord de la route ses marginaux.

Comme d’habitude Wáng Bīng n’hésite pas à remettre sur le devant de la scène ce que la puissance chinoise tente de cacher. De marginaux, en couturières ; de vieillards jetés en hôpital psychiatrique jusqu’aux abandonnés du désert de Gobi. Tout autant de portraits, qui font la splendeur et la misère de la Chine.

Alors on est là, coupable d’aimer le minimalisme de ses documentaires, d’éprouver leur longueur (parfois jusqu’à 9h00). Dans la position d’un spectateur qui n’a que peu de marge pour agir sur ce qu’il voit, il ne nous reste que le pouvoir de l’oeil à faire archive et à ne pas oublier.

Sans le nommer, il y a un homme qui existe.

[L'homme sans nom de Wáng Bīng, 2009]

Tck.


mardi 7 octobre 2025

L'honneur de nos vieux (film)

C’est comme un manque d’air. Une gêne profonde lorsqu’on voit un film comme celui-ci. Parce qu’il date de 1952 et qu’on le visionne en 2025 en se disant que finalement, les problèmes sont toujours les mêmes et que l’histoire de nos vieux se répète inexorablement et ce même 77 ans plus tard.

Umberto D est un petit retraité de la fonction publique italienne. Il est comme des milliers d’autres, à manifester sans trop de succès, en suppliant avec ses comparses pour l’augmentation de sa pension.

Juste 20% de plus, disent-ils ! Juste ça pour rembourser ses dettes, se loger, manger.

Umberto n’a pas de famille. Personne pour veiller sur sa carcasse vieillissante. Et lui-même a un chien, Flike, un petit Jack Russel bien dressé qui est à la fois une charge car il faut s’en occuper et le nourrir mais aussi son seul compagnon.

Umberto voit peu à peu se resserrer l’étau autour de lui. Son dernier rempart face au drame de l’après-guerre reste sa petite chambre au papier peint baroque d’où sa logeuse souhaite le jeter, pour transformer l’appartement. Pour le pousser dehors, elle fera d’abord coucher un jeune couple dans son lit, puis oubliera toute subtilité, envoyant ses ouvriers faire des travaux dedans, arrachant le papier peint et perçant même le mur.

Alors, notre pauvre vieux n’aura plus rien, que la rue.

La femme de ménage de l’appartement où il vit, se prend de pitié pour lui ou plutôt, partage une existence pathétique comme Umberto. Enceinte d’un des soldats avec qui elle a eu une aventure, cette encore toute jeune femme, vit ses derniers mois d’innocence où il s’agit pour elle, de ne prendre soin que de sa propre personne.

Elle, qui vit encore dans un entre-deux, sont lit même étant un lit de camp posé dans le couloir, est toujours montrée, enfermée dans des espaces clos de la vie ménagère : une cuisine, une chambre, un hôpital. Même lorsqu’elle est dehors, elle est réduite à la tâche : un marché.

Umberto n’en est pas en reste. Et le film ne nous offre jamais un espace de liberté. La camera nous refuse le ciel pour nous laisser face à des murs gigantesques, des colonnes qui n’en finissent pas et Umberto, toujours là, frêle silhouette accompagnée de son chien.

On pourra reprocher au film sa tendance au pathos à cause même de la présence du chien, Flike. La pauvre bête ne doit sa survie qu’à son maître qui lui-même en est réduit à souhaiter mourir. Mais quoi faire du chien ? L’abandonner à un chenil ? À une famille bourgeoise ? Ou mourir avec lui, tout bonnement. Peut-on être à ce point là égoïste et entraîner dans sa chute ses compagnons ?

Sans jamais juger les choix de son vieux, Vittorio De Sica se fait plutôt l’ombre discrète d’une Italie qui ne se mélange pas et où la misère côtoie l’autre monde sans y toucher.

Et Umberto D, qui fut un de ces hommes du grand monde, est incapable, malgré sa misère d’oser l’aumône. Lui qui a gagné sa vie avec honnêteté, lui l’homme de la fonction publique porte son chapeau avec l’élégance de ces vieux qui se refusent à tout déshonneur.

Laissé sur le bas de côté du monde, oublié par son pays, il n’est plus rien, pas même une fourmis travailleuse.

Sans donner de solution, Sica pose plutôt un constat historique et Umberto D est un simple prélèvement sur une journée ou deux d’un pays d’après-guerre qui a encore du mal à tenir en équilibre sur ses ruines.

[Umberto D de Vittorio De Sica, 1952]

Tck.