vendredi 17 décembre 2021

Turlututu, chapeau pointu (roman jeunesse)

Une question sur le bout de la langue, pour saisir les comportements autres, qui divergent. Dans les sphères sociales hors du cadre, des balles qui rebondissent et ricochent sur la surface d'une société trop hermétique à la différence et qui pourtant cultive le goût de la... différence. Tant qu'elle se joue dans les habits, dans les coiffures, dans tout le jeu des superficialités, ça va. Mais lorsque c'est le mental qui décide de continuer le film hors cadre, alors ça gêne. Revenez dans le champ, rien ne va. On ne vous voit plus, vous devenez invisible et pourtant Dieu sait que vous en faites du bruit à vous rouler sur le sol, en cris de fauve.

Caméléon tu seras, pour te fondre dans la masse des gens. Inspiration profonde, yeux qui se closent. Accepter le bruit ambiant, ne faire remarquer qu'aux siens que la claque des mains dans lesquelles on frappe provoque la migraine. Se retenir jusqu'à sa moelle lorsque cette même main amicale frotte le dos. Je n'aime le contact qu'avec ma soeur qui est comme moi, avoue Addie.

En petits mots souples, les étincelles invisibles décrit certains comportements des neuro-atypiques : comment réagir face à ces visages incompréhensibles, aux muscles qui se gribouillent d'expressions insaisissables ? Par le biais des sorcières, Elle McNicoll parvient avec brio à construire un parallèle entre celles qui furent brûlées parce que hors normes et Addie qui se reconnaît en elles, parce qu'être une jeune fille autiste aujourd'hui, c'est être confrontée au rejet et à la cruauté du monde.

Ainsi, le front camouflé sous le chapeau de ces sorcières, Addie décide de militer pour que soit installée une stèle commémorative pour ces femmes. Après tout, elle-même aurait pu mourir ainsi...

Si le vocabulaire du livre reste simple et l'histoire finalement très courte, comment ne pas être pris d'un vertige tandis que l'on marche dans la rue, dans le silence et le regard de ceux qui nous entourent ? Des sorciers et des sorcières gravitent dans les foules, l'oeil baissé, pour ne pas être reconnus et immolés par le feu. S'ils avaient tous une pierre avec gravée à l'or ou au burin un simple Nous sommes désolés, ne pourraient-ils pas, tous ces autres, souffler un peu, se dire qu'être juste soi, c'est déjà si bien...

[Les étincelles invisibles d'Elle McNicoll, édition école des loisirs (15/09/2021)]

Tck.

vendredi 3 décembre 2021

Murmure dans un oeil malade (roman)

Là, du coin de l'oeil, une poussière... Plus que ça, un petit corps étranger qui glisse doucement. Un petit être comme une soeur qui refuse de dire son nom, un doigt à la forme improbable qui souffle sur sa bouche un "shhht", tandis qu'elle est croquée d'un crayon de papier par la main de cet oeil d'Ambre, sur le coin des encyclopédies.

Yōko Ogawa imagine l'artiste, suggère le talent et l'inframince, dans l'histoire folle de trois enfants habillés de bric et de broc : queue de cheval cousue au pantalon, ailes de papillon, danseuse au collant déchiré. La petite fille, l'adolescente qui fuit ; le plus jeune à la voix coincée au fond des poumons et Ambre...
Mystère et magie de trois enfants dans le jardin de feuilles hautes mangées par un âne. Conte de pierres précieuses pour trois enfants. Conte d'un chien maudit pour quatre enfants.

Ambre dont l'oeil malade capte les rayons de l'au-delà à moins que ça ne soit les plis des roches. Au fil du temps, sous ses doigts, apparaît la carte d'un monde où sa mère cherche à coeur dévolu, les restes d'une petite fille disparue.
Et ce même Ambre plus tard, dans son gilet de cachemire tout doux et sa chambre troglodyte, trace encore les corps dansants, tandis qu'une femme l'observe comme une amie et cherche en lui la réponse à sa personnalité douce et silencieuse.

Instantanés d'Ambre
a laissé le public d'Ogawa mitigé. Beaucoup n'ont pas saisi la portée de l'histoire. Où veut-elle en venir ? ont-ils dit, sans comprendre qu'il n'y a pas de sentier dessiné devant les yeux d'ambre.
Aucun message ne prévaut dans le conte des trois enfants, juste la sensation étrange, à la lisière d'ici et d'ailleurs. Instantané, car le mot est trop bien trouvé, qui dit tout du charme et de l'angoisse de l'enfance, de la beauté et la mélancolie des disparus. Tout cela transcendé par l'art.

Ogawa aime à déplier des personnages fantomatiques dont les rares paroles se suspendent au-dessus des paupières closes. Quelle portée y a-t-il à ça ? Aucune. Mais l'art comme Ambre n’ont pas valeur à expliquer le monde, tant qu'ils y vivent...

[Instantanés d'Ambre de Yoko Ogawa, édition Actes Sud (2018)
+ dessin de Henry Darger]

Tck.