lundi 3 juillet 2023

Les matins calmes (film)

Nous sommes dans une ère de silence. Là où les volutes de fumée dévorent l’écran d’un blanc manteau. Là où, dressé sur une colline de charbon, le vieux berger tape le monticule, répondant à un rituel bien étrange.
Pas un mot dans Quattro Volte. Pas de musique non plus. L’existence est bercée par la cloche de l’église. La lumière fraîche de ce bout du sud de l’Italie entoure le film d’une atmosphère tranquille.
Tout se joue sur ce fil ténu. Entre extrême sobriété et violence sous-entendue de la vie, de la mort. Plan après plan, le berger au profil de vieille branche, tousse et ploie de plus en plus.
Une petite chèvre se perd dans la montagne.
Un enfant de choeur peine à se défaire d’un chien hargneux.
Puis on coupe un arbre.

L’enchaînement du monde est comme ça. Fait de bouts de vies, triste et solitaire, de fêtes païennes. Quattro Volte apporte une réponse à l’énigme de la vie. Michelangelo Frammartino nous parle de cycles. C’est une évidence sans doute. Autant que l’écoulement des saisons.

Il donne à ce village la force d’une vieille toile. Ses lumières sont vives, les ombres allongées et tendres. Chaque personnage qui apparaît est tracé pour une action unique. Il n’y a pas d’angoisse dans les gestes du berger. Il n’y a pas de scrupule chez la nonne qui donne comme remède de la poussière balayée dans l’église...

Sorte de fable à la timeline indécise, c’est un film plus fort que sa sobriété première laisse croire. Partagé entre l’utopie des matins calmes et la violence des petits bourgs, Quattro Volte est un regard porté du lointain sur le XXIe siècle. Une mise en miroir de nos sociétés trop rapides, trop destructrices, qui ont oublié le passage des saisons justement. Car quelle saison reste-t-il à l’homme qui traverse l’hiver et l’été en quelques heures de vol ; qui oublie le gel des matins de décembre sous 40 degrés d’un Dubaï artificiel...

[Le Quattro Volto de Michelangelo Frammartino, sorti le 29/12/2010]

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L'alignement des étoiles ou les Ziggy du XXIème siècle (art : musique/peinture)

Deux figures qui se croisent dans la chronologie, presque un mapping de visages dans l’opposition la plus pure. Il y a d’un côté Andy Warhol à la face grêlée et perruque grisâtre et de l’autre David Bowie, aux yeux étranges et à la beauté androgyne. Deux figures de l’art, avec un grand A.

C’est percutant d’imaginer le premier issu d’une immigration de la vieille Europe, le gamin bizarre et trop sensible, le fils à maman, doué en dessin, copiste parfait d’un siècle où l’industriel grimpe, grimpe et grimpe encore. Andy Warhol est l’inattendu, le souffle dévastateur d’une Amérique d’après-guerre qui se reconstruit à coup de musique pop, d’American Dream et de ... Coca-Cola.
Le gamin moqué est devenu l’égérie de la publicité, le dessinateur de chaussures par excellence, celui dont l’art se tord d’un rire sec et cynique. Pas artiste, mais publicitaire et notons qu’un pli un brin méprisant persiste aujourd’hui dans certains milieux guindés de l’art.

Une sorte d’étrangeté nous prend en regardant Uniqlo sortir en 2023 une collection de t-shirts Basquiat/Warhol... Comme si l’art de Warhol avait atteint son paroxysme en se plongeant dans la fast fashion. C’est une des rares fois où, votre cher narrateur de ce jour, trouvera pertinent une telle collection est se procurera un de ses t-shirt parce que ce dernier répond merveilleusement bien au travail de Warhol. Il avait une production d’usine. Il faisait en série des peintures de boîtes de conserve. Il a initié avec d’autre, dont Liechtenstein, l’ultra-industrialisation de l’art. Alors pour une fois on saluera la marque de vêtements japonaise.
Et puis, il y a l’autre bord de route, rouge de cheveux (mais pas tout le temps) et surtout ce regard : deux yeux, dont l’une des pupilles est dilatée à jamais. David Bowie ou plus banalement David Robert Jones, est cet artiste explosif, produit de l’après-guerre lui aussi. Sa musique aux accents crissants, la vulgarité en étendard, les tenues les plus excentriques, androgynes mêmes. David Bowie ce type qui raconte des histoires en musique, celle d’un Ziggy venu apporter un message de paix et d’amour et qui flammèche intrépide se perd en excès et meurt... Un Lucifer en quelque sorte.

David Bowie a compris qu’être un artiste ne relevait pas simplement du chant, du son. C’est l’assemblage minutieux, le. Storytelling jusqu’à l’aboutissement d’un ou de plusieurs personnages. Fondu dans les siens jusqu’à se demander qui est le plus réel de David et Ziggy, Bowie a laissé à tout jamais un éclair sur nos visages.

Quand on voit ces deux hommes au jumelage avortés, on rêve d’amitié... Mais jamais elle n’accouchera : Warhol vexé d’une chanson de Bowie où il se sentit moqué, lui claqua la porte au nez. Cela n’empêchera pas de faire croiser ces deux routes, de voir d’un côté et de l’autre la montée de la drogue, les interrogations humanistes et le rapport étroit avec l’industrie.
Chacun trouvera l’équilibre de sa pratique en acceptant le don de ses talents au capitalisme. Et cette notion interroge. Bowie par exemple est un chercheur de son, un amoureux de la musique expérimentale. Mais pour nourrir ce goût, il lui faut créer des pièces plus pop et grand public. Let’s Dance, succès foudroyant et critique de l’écrasement occidental sur les natifs amérindiens, est le rejeton d’un besoin évident d’argent pour réaliser à côté des albums sans succès. Fainéantise d’un public amateur de musique qui bouge ? Incompréhension générationnelle ou bide obligé parce que l’album n’est tout simplement pas bon... On ne saurait dire, mais on constate la noyade de plus en plus effective des populations dans les contenus faciles, populaires.

Aussi en partant de deux icônes comme celles de Bowie et Warhol, nous assistons à la naissance du concept de l’artiste industriel et la marchandisation des noms. Les Monroe de Warhol ou l’éclair de Bowie sont devenus plus incarnés que le reste de leur création. Et tandis qu’une chape glacée nous submerge au XXI siècle, on danse encore, coca à la main, fagotés d’habits de qualité douteuse. On s’en fiche... Tant que la fête continue... On la relayera sur Instagram et Tiktok. C’est déjà pas mal.

[Andy Warhol de Michel Nuridsany, éditions Flammarion, 03/05/2023
Very Good Bowie Trip de Michka Assayas, éditions GM 12/05/2023
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Tck.