Le ciel gorgé d’étoiles est devenu une légende qui appartient aux lieux exempts de lampadaires et grosses usines. Mais, comme un rêve d’enfant persiste l’amour du lointain, des galaxies et des mondes autres.
Depuis quelques années, de jeunes réalisateurs se saisissent du ciel et de l’espace pour proposer une critique singulière des rapports entre les êtres humains, mais aussi pour établir un pan de philosophie parfois nihiliste, parfois absurde - reprise notamment du mythe de Sisyphe de Camus.
Je ne sais pas bien où a débuté cette nouvelle manière de fantasmer l’espace. Une esthétique singulière entoure ces nouveaux longs-métrages : végétations, rêve, silence, HLM, musique techno douce.
On laisse les plans s’étendre, raconter par le rien le récit intime de jeunes gens... Dans les films français, les HLM sont mis à l’honneur. Ils ont la particularité d’être des incubateurs de possibles, des endroits magiques pour le bourgeois, où la misère est royale. Exit évidemment l’odeur d’urine, de drogue et les familles entassées par 10 dans de minuscules appartements... Mais encore, cela fait partie du jeu. Cloîtrés dans ces quelques mètres carrés, ils se préparent à la vie dans les fusées exiguës ! Avec la dureté de la rue, ils sont les plus aptes mentalement à tenir l’angoisse des missions.
Tropic est le dernier rejeton de ce nouveau cinéma de science-fiction. Avant lui, j’ai vu passer Gagarine (2021) ou la Montagne (2023) pour ne citer qu’eux, qui portaient quelque chose d’étrange dans cette façon de confronter leurs personnages à la SFF... On ne cherche pas à expliquer d’où vient le bizarre. Il est juste là, comme élément perturbateur. De lui découle la poésie du récit. Dans Tropic cette poésie frôle clairement l’horreur.
Cette approche singulière permet de camper un récit puissant et trouble, fait de peu de moyens où l’on suit un couple de jumeaux : Lazaro et Tristan pour qui tout semble réussir. La force de Tropic se tient dans son duo. Parce qu’ils sont jumeaux, issus du même embryon, parce qu’ils sont deux faces d’une même pièce, la cassure qui s’opère au moment où le futur de Tristan se brise, donne au film une tension abominable où qu’importe la voie que prendra le scénario, le fait est que c’est déjà trop tard... Nous voici spectateurs d'une gémellité qui se délite, sorte d'expérience de Schrödinger de mauvais goût où tout le monde sait sans oser le dire à voix haute que l'avenir de Tristan est mort.
Et, dans cet écroulement, il faudra bien noter l’audace de la caméra qui présente le visage décomposé de Tristan. Dévoiler de face l’horreur aurait pu détruire la crédibilité du récit, comme c’est souvent le cas dans ce type de film. Or, étrangement, la chose marche bien ici et permet d’entrer plus profondément dans la psyché de l’autre jumeau, Lazaro.
Bien sûr, comme tout film, Tropic a ses défauts, notamment dans sa proportion à vouloir aborder trop de thématiques. Mais cela se pardonne facilement, parce que l’univers déployé reste cohérent et fascinant.
Et par strates, je ne doute pas de voir surgir dans ma mémoire quelques plans de ce film, d’ici les mois à venir. Il fait partie de ces petites pépites françaises, discrètes, mais dont l’onirisme est gage d'intérêt.
[Tropic d'Edouard Salier, sorti le 02/08/2023]
Tck.