lundi 15 janvier 2024

Jihad à la passion (essai)

De tout ce que condense une vie, finalement il y a peu de choses qui sont réellement retenues, qui reviennent en tête. Notes de ma cabane de moine fait parti, quant à lui, de ces textes qui façonnent ma bibliothèque mentale.
C’est un petit livre, édité en France par Le bruit du temps. Un récit assez court rédigé en 1212 par Kamo no Chômei fils d’un prêtre Shintoiste qui voua une partie de sa vie au biwa et à la poésie, avant de s’en aller vivre dans une cabane, dans une forme d’ascèse qui poussa l’admiration de ses contemporains.

Ici, il interroge l’impermanence de l’existence. Il connut de nombreux bouleversements, de la famine, aux ouragans, au transfert de la capitale japonaise. Quelle est la valeur d’une vie au milieu de ces perturbations ? Comment se tenir face à tout ça ?
Si l’interrogation est belle et a été souvent comparée aux réflexions de Thoreau, il y a un autre point plus viscéral qui me pousse à repenser à ce livre. Kamo no Chômei interroge l’art, dans sa passion. Poète et joueur de biwa génial, il abandonna son amour des compositions pour se retrancher dans sa cabane et la prière. Dans cette recherche de la pureté bouddhiste, il reste affreusement accroché à son amour des arts. Jamais il ne parviendra à s’en défaire totalement.

Pourquoi abandonner l’art, quand il est si puissamment accrocher à soi ?
Il y a de la douleur dans cette incapacité à se défaire comme on le souhaite de l’art. Dans la recherche de la vérité, la tentative de masquer la vérité la plus nue par la beauté d’un ver ou d’une mélodie, Kamo no Chômei comprend sans aucun doute qu’il est incapable de transcender son enveloppe humaine et d’accepter de manière la plus frontale l’existence.

Les passions nous enseignent notre fragilité face à la vie, nous mettent au devant de notre crainte de la mort. Si l’art (la poésie) était à un certain niveau méprisé par les philosophes grecques, sans doute était-ce due à sa capacité à éloigner l’Homme de la Vérité.

Est-ce que Kamo no Chômei est parvenu à oublier le biwa et les haïkus ? Je ne crois pas... Pas plus que sa passion ne le rendit heureux. Mais encore, il faudra éviter de faire l'amalgame entre bonheur et passion.

[Notes de ma cabane de moine de Kamo no Chomeï, éditions le bruit du temps, 18/11/2010]

Tck.