samedi 28 mai 2022

Dans la dignité du désert (film)

Utama
Utama, un titre dans lequel résonne quelques airs japonais, car dans cette langue, « uta » veut dire chant. Néanmoins il ne faut pas s’y perdre, car ici, c’est une coproduction entre la Bolivie et l’Uruguay à laquelle l’oeil et l’oreille se confrontent.

Dans les films de peu de moyens, l’ouverture a son importance : de la première note de musique au premier plan. À la manière d’un « aujourd’hui maman est morte », la première image d’un film doit porter en elle l’essence de l’heure qui va suivre. Ici, c’est d’abord un gong un peu strident, sur fond noir. Il est suivi d’une mélodie traditionnelle à la flûte. D’un plan noir, c’est le désert qui surgit, flou de chaleur, un homme en son centre, de dos, qui marche. Il porte un chapeau qui lui donne des allures de cowboy solitaire. Il l’est, à se diriger vers l’horizon brûlé de soleil.

Dans Utama, la nature n’est qu’un vaste désert où survivre devient difficile. À la pompe locale, l’eau ne coule plus. Les touffes d’herbes peinent même à exister au grand damne d’un troupeau de lamas qui continue malgré tout d’avancer à la suite d’un berger dont le pas chancel sous l’écrasante fin du monde d’un ciel sans nuages.
Un an qu’aucune plus diluvienne n’est venue se répandre dans les cicatrices d’un sol qui craque. Et la vie est dure… D’autant plus que les autochtones du coin, des quechuas aux habits de songes, refusent de partir. Ils ont leurs habitudes dans ce désert. Puiser l’eau à quelques kilomètres, avoir chaud le jour, froid la nuit, tout ça appartient à leur folklore qui dresse sur leurs visages les sillons de rivières sèches et sur leurs mains, l’épais cuir d’un vent qui frappe, d’un vent qui assèche.

Le film qui par instant semble tenir plus du documentaire que d’une fiction s’attarde sur le couple d’un vieil homme au souffle rauque d’une fin de vie et de sa femme, aux longues tresses et aux jupons épais. Entre eux, le silence n’est brisé que par la respiration sifflante ou le raclement d’une cuillère dans un bol de haricots et de patates douces. Ils s’aiment sans un mot pour en témoigner. Tout est plus subtil : dans un échange de regards, de réveil au petit matin, le soin de l’un pour l’autre… Le film sera à la lisière d’une romance à la dignité perçante où ces deux piliers se soutiennent dans la sécheresse.

Alejandro Loayza Grisi établit donc ce couple et y ajoute le personnage d’un petit fils ancré dans la modernité, qui ne maîtrise pas les codes d’un dialecte quechua, qui passe son temps sur son smartphone, mais qui malgré tout porte un amour tendre envers ses aïeux.
Sans être une critique totale de la modernité, ni même de la pugnacité des vieillards à refuser de quitter une terre aride, Utama nous offre l’amour des anciens pour leur terre, leurs croyances qui frisent le désespoir, mais aussi la tendresse non pas d’un fils pour son père, mais d’un petit-fils pour son grand-père.

On dit souvent que c’est la troisième génération qui est assoiffée par la compréhension de ses anciens. Elle pardonne mieux que les fils et souhaite réunir les pans d’une tradition et d’un futur. Le petit-fils essaie, semble-t-il. Il a ses raisons et elles sont belles.

[Utama de Alejandro Loayza Grisi, sorti le 11/05/2022]

Tck.