lundi 30 mai 2022

D'art, d'os... Zardoz ? (film)

Un Cronenberg sur une croisette qui fête ses 75 ans en l’an 2022, pourquoi pas. Pourquoi mieux même lorsqu’il serre nonchalamment la taille de Kirsten Stewart tandis que le bon vieux Viggo Mortensen prend la pose près de Léa Seydoux.
Une belle brochette d’acteurs pour un film étrange : Les crimes du futur. Scénario dans le tiroir de Cronenberg depuis plusieurs années, qui se réveille telle une belle au bois dormant, d’un baiser nommé financement.

Personne n’est passé à côté de la comparaison avec Titane, récompensé l’année passée.
Ces deux films parlent de sexe, de futur, de machine ; questionnent l’humain, l’homme, la femme, l’art. Mais l’un est d’une jeune réalisatrice l’autre d’un ponte du cinéma. Cherchons le maître, l’élève ou l’erreur… S’il y en a.

Et tandis que la croisette s’offusque un brin devant ce film qu’elle considère comme choc, l’on se délectera, nous, du bestiaire cronenbesque à la purulence des machines ubuesques aux allures de monticules osseux, d’organes de cauchemars dans lesquels se love Viggo Mortensen dont le corps apparaît putréfié de l’intérieur, douloureux alors même que la douleur, dans ce film, n’existe plus.

Que vaut une vie où la douleur, la maladie n’est rien ? Ces corps défectueux se pâment et se scarifient, cherchent, se creusent la chair à la recherche de la vie perdue. Car vivre, c’est être douleur. Schoppenhauer en saurait gré.
Et si le sens de la vie est interrogé, celui de l’art l’est encore plus. Cronenberg cherche-t-il à expliquer ce qu’il considère être l’art à ses yeux ? Des dialogues en face caméra bavent d’explications, d’expositions gueule béante de ce que recherche l’artiste (ici Viggo Mortensen). Se chercher, dans le fond de ses viscères, mettre à jour la vie et si possible toucher les autres par là. Être artiste, voyez-vous c’est se donner, tout entier, en quête d’une vérité transcendantale. C’est, dans l’arrachement des tumeurs par le bistouri futurico-dégueulasse de Léa Seydoux donner un sens à ce qui n’en a pas. Sur des organes tatoués, le duo d’artistes performeurs que les deux acteurs incarnent souhaite dire aux spectateurs (regardeurs ?) qui se délectent du spectacle que le corps a tant évolué, a tant été manipulé, qu’il ne lui reste plus qu’à se parer de tatouage intérieur pour en prendre totalement le contrôle.

Alors quoi, Crimes du futur, film bizarre. Film où les crimes se jouent sur plusieurs niveaux. Une intéressante réflexion sur la place de l’artiste, de l’humain au sein d’une société dépassée, épuisée jusqu’à l’os par la modernisation et les déchets qu’elle engendre. Car, faut-il le préciser, que dans le futur cronenbesque, la technologie n’a rien d’une architecture pure de Dubaï, au contraire. Elle est sale, rouillée. Les intérieurs oscillent entre une épure digne du Wabi Sabi et la crasse d’un bidonville. Les personnages eux-mêmes sont pris entre luxe et mort.

Si la mort plane tout du long, elle n’est qu’un spectacle de plus. Une blague de deux jeunes femmes munies de perceuses.

Et finalement, sortis de là, sommes-nous réellement choqués ou alors est-ce juste un soupçon de bienséance qui oblige le spectateur à se dire que tout de même, il exagère Cronenberg.
Par son esthétique plutôt léchée et l’engourdissement des images justement choquantes auxquelles nos yeux se sont habitués, on finit par ne plus l’être justement.

Et l’on rit à certains moments. N’est-ce donc pas ce rire et cette léthargie de spectateur, le réel crime ? Grande question.

[Les crimes du futur de David Cronenberg, sorti le 25/05/2022
Titane de Julia Ducournau, sorti le 14/07/2022]

Tck.