dimanche 12 octobre 2025

Et si on râlait sur l'art ? (livre)

L’art en cheval de guerre et ce depuis longtemps. Depuis l’enfance, depuis le ventre de la mère. Tout le monde y est sensible à différents degrés. Un conte magnifique, n’est-ce pas ? Alors qu’il n’est qu’un faux-semblant ; une forêt qui cache une réalité moins gaie et beaucoup plus sarcastique. L’amour de l’art est une culture, un apprentissage dont le plafond de verre est le même que celui qui se cache derrière le terme de « méritocratie. »

Il va falloir qu’on s’explique. Partons de Bourdieu, tient.

Sans être axée sous le prisme franco-français, l’analyse sociologique que l’on trouve ici, parcourt la France, certes, mais aussi la Hollande, la Grèce ou encore la Pologne, pour dresser ensuite le portrait des visiteurs des musées. Qui sont-ils ou plutôt, qui sommes-nous, nous marcheurs du White Cube ?

Des bourgeois, des faiseurs d’habitus !

Les classes populaires (ouvriers, agriculteurs) sont, on ne s’étonne pas, les grandes oubliées. Les étudiants, les retraités font la part belle, c’est un fait, mais en plissant les yeux on remarque qu’ils ne viennent pas de n’importe où. Le minimum du baccalauréat, voire les études supérieures et la bien sûr la catégorie socioprofessionnelle des parents, élevée.

On ne nous apprend rien. On le sait, dans notre quart de siècle, que les musées ne sont pas accessibles. Parce que ça coûte cher parfois, ça nécessite du temps et il faut pouvoir y accéder.

Quelques témoignages, égrainés au fil des pages, nous montrent le malaise de ceux qui n’ont pas les codes. Ils voudraient des fléchages, plus de pédagogie et même un conférencier pour leur expliquer. À contrario, les initiés eux, se plaignent qu’il y ait trop d’indications. Pour eux, la visite du musée est une liberté, une flânerie, une rêverie.

Mais pour qui est cette rêverie en fait ?

Il faut se mettre à la place du monsieur-tout-le-monde, qui arrive au musée, sans avoir l’oeil affuté. Il erre de tableau en tableau aperçoit un petit cartel qui l’informe succinctement sur le titre, la date et la technique. Avec un peu de chance, le musée a été jusqu’à en quelques paragraphes, sur les murs, une brève histoire de la vie de l’artiste présenté.

Est-ce que ça suffit ? Savoir qui est Rothko est-ce que cela aide à s’émouvoir devant un Rothko ? J’aurai bêtement envie de dire qu’il faut même passer outre ça et juste se planter devant la toile et s’émerveiller de l’aplat. Mais s’émerveille-t-on aussi facilement ? Certains argueront qu’on a bien su adorer les icônes représentants Jésus. Le raccourcit est trop facile, de la même manière qu’on essai de faire croire au monde entier que l’art est pour tout le monde. Ce qui me semble être un ignoble mensonge.


En se dégageant d’abord de notre regard occidental et prenant appui sur Les formes du visible de Descola, nous serons bien forcés de constater que l’imagerie du monde n’appartient pas à ce que nous reconnaissons de prime à bord. Il y a quelque chose qui va au-delà de nos grands tableaux exposés au Louvre. Des arts que nous ne comprenons pas forcément, qu’ils viennent du fin fond du Vietnam comme de la culture Bambara. Tout le monde n’a pas la finesse pour apprécier le caractère de ces cultures. Par manque de connaissance, d’esprit critique ou d’ouverture. D’ailleurs il suffira de voir l’aile africaine du Louvre et la tranquillité de ses allées, alors même que l’art grec lui, réunit une masse noire de touristes.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on nous a appris à apprécier les arts occidentaux depuis l’enfance et plus particulièrement ce qui est figuratif. Les sculptures de Michel-Ange, les tableaux de Velázquez ou Delacroix font parti de notre quotidien, de nos livres d’histoire. Nous les avons digérés, intégrés.

Or comme nous le rappelle le livre page 81 : « dépourvus de catégories de perception spécifiques, ils [les non-initiés] ne peuvent appliquer aux oeuvres d’autre « chiffre » que celui qui leur permet d’appréhender les objets de leur environnement quotidien comme dotés de sens. »

Tout le problème se situe donc au niveau de ce noeud : l’éducation. La jeunesse manque cruellement d’une véritable pédagogie autour de la construction critique du regard, qui l’empêche de développer une réelle approche des oeuvres au-delà d’un « c’est beau » / « c’est pas beau » ou pire, qui se borgne à chercher dans une image abstraite, le reflet d’une perception figurative à la manière d’un test de Rorschach.

Les arts même s’ils apparaissent sous le nom « d’arts plastiques » au collège, sont relégués en arrière plan. Ils sont devenus une manière de singer l’art, avec cette étrange façon de demander aux professeurs de développer la créativité et l’expérimentation de leurs élèves, sans leur donner l’appréhension réellement technique de l’art, finissant par transformer ça en cours d’art thérapie ou de développement personnel. À croire que l’apprentissage académique du trait et de l’histoire des arts seraient une aberration.

À force de refuser de voir les arts comme un réel apprentissage, aussi complexe que sont les mathématiques ou l’histoire, on en arrivé au point où nous devons constamment nous confronter à des stéréotypes qui visent à considérer que l’art contemporain est « content pour rien » ou que « mon enfant de 6 ans pourrait le faire. »

Si on enseignait mieux l’histoire des arts, il serait plus aisé pour les visiteurs de comprendre que pour en arriver à l’abstraction d’un Nicolas de Staël ou à la simplicité d’un geste de Fontana, il a fallu avant cela digérer tout un pan de l’histoire de l’Art, le défaire et réapprendre au regard l’usure du monde, jusqu’à l’usure de nouveaux paradigme.

Mais pour cela il faudrait bien évidemment arrêter de prendre les professeurs d’arts plastiques du collège pour des guignols juste bon à faire faire des DIY à leurs élèves ou à expérimenter sans jamais rien inculquer derrière. Alors peut-être qu’enfin la vision mélodramatique de l’artiste bohème ou celle de « l’art est une passion et pas un travail » s’effilochera devant le regard de spectateurs mieux avertis et plus agisseurs que regardeur passifs.

Mais avec des si je referais bien le monde.

(oui j’ai des griefs contre les arts plastiques au collège, non contre les professeurs qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, mais une partie du rectorat qui a l’air d’avoir une vision de l’art façon le sketch des inconnus sur l’Artitste.)

[L'amour de l'Art de Pierre Bourdieu & Alain Darbel éditions de Minuit, 1966
Les formes du visible de Philippe Descola, éditions du Seuil 02/09/2021
Lucio Fontana en train de créer une toile, 1962]

Tck.