Au coeur chante la poésie grecque, celle où les héros pleurent à chaudes larmes devant la beauté de la nature, là où l’amour a quelque chose de la pureté et la guerre un air de tragédie à faire frissonner les âmes indécises.
Hölderlin chante ces moments et nous convainc. Hypérion semble immortel, chargé de traverser le monde sans être capable d’y poser solidement le pied. Il transcende ceux qu’il rencontre. L’amour qu’il portera pour Diotima et qu’elle lui portera causera la perte de cette dernière. De même son tendre ami Alabanda sorte d’incarnation de gamin turbulent à bon coeur, préférera la mort à l’idée de le flouer.
Hypérion est pur. Pur dans le récit de cette antiquité rêvée, de ces olives dans lesquelles nous mordons. On y sent la tendresse pour les pâles lumières, l’odeur de l’huile et les sentiers de terre sur lesquels claquent les fières sandales, tandis que deux vieux penseurs respirent à plein nez les effluves de la nature la plus simple.
Baigné de mythologie, Hölderlin est un écrivain au destin malheureux. Fou, cloîtré jusqu’à sa fin dans une tour d’argent, Hypérion préfigure sa chute. Parce que Diotima (nom emprunté à la prêtresse de l’amour chez Platon) est l’incarnation d’une femme avec qui il partagea un amour caché : Susette Gontard.
Peut-être prend-il trop à coeur le rêve de ce monde passé. Sur les ruines malheureuses du Panthéon, alors qu’Hypérion est écrasé par la fin du monde, on devine facilement Hölderlin en sous-ton. Il se cache dans les replis de cette Grèce antique de fantasme, comme si elle seule portait les grands hommes, les muses et les amitiés particulières entre les jeunes hommes.
Les mots sont bien choisis, les lettres adressées à Bellarmin alternent entre odes à la beauté et dépression de notre pauvre Hypérion, avec une rigueur telle qu’on s’amuserait presque à imaginer avant qu’elle n’arrive, la mauvaise nouvelle amorcée de retrouvailles avec l’un ou l’autre des siens.
Préfigurant le romantisme ou l’incarnant tout simplement, Hölderlin mélange habilement les paysages d’avant et ceux de 1700. On hésite entre mythes et réalités, entre vrais faux de ces figures croisées, entre la présence rêvée ou non d’un Hypérion sur les bords du Péloponnèse. Mais qu’importe sur quel flanc de colline il se trouve, à la fin, il perd tout.
[Hypérion de Friedrich Hölderlin, édition Poésie Gallimard, 1973]
Tck.