Les documentaires de Patricio Guzmán sont des boîtes précieuses qui contiennent les cendres de tout un peuple chilien, perdu dans le désert, dans l'océan pacifique ; perdu pour les leurs.
C'est un conteur à la narration délicate où les fantômes se mêlent à la vision du ballet des 66 antennes qui parent le désert d'Atacama. De film en film, il revient toujours à eux, fasciné par le parallèle qui se joue entre l'observatoire chilien qui permet de fouiller le ciel à la recherche du passé et ce désert où la dictature fit disparaître les corps, où quelques vieilles femmes tamisent le sable en quête d'un parent qui peut-être s'y trouve, loin du repos et des siens.
Dans El Botón De Nácar, il s'échappe d'une confrontation trop directe avec la dictature et parle du Chili, mais par l'eau. Alors se déploie les dialectes de vieilles tribus décimées par les colons et dont ne demeurent qu'à peine une poignée d'êtres, dont le visage est vallonné de profondes rides. Gabriela, une Kawésqar, issue de ces fameuses tribus de l'eau raconte son voyage le long des côtes chiliennes dans un ancien dialecte presque perdu et où clapotent les gouttes et le rythme de l'océan.
Il y a aussi Claudio Mercado et son chant de l'eau où s'alterne son visage levé vers le ciel, sa voix inhumaine et les plans de pluie et de cascade.
Chaque documentaire de Guzmán joue sur le fil d'une poésie pleine de mélancolie. Sa voix qui raconte, le ton guttural parfois, sa répétition d'un même mot Agua, Agua, Agua... Nous sommes faits de cette Agua et nous sommes nos propres destructeurs ; lorsque dans le documentaire est interrogé le ciel, il nous demande si sur d'autres planètes la loi du plus fort est toujours la même où si les autochtones, peuples des eaux pourraient vivre paisiblement, dans leur compréhension secrète de la nature.
Il n'y a pas de réponse au regard de Guzmán. Juste la succession d'impressions terribles sur ce que fut le Chili, sur l'horreur de la dictature, sur les Chiliens d'à présent. Le futur n'est jamais évoqué, sauf par la présence en blanc des antennes.
Puis... Un bateau sillonne les côtes gelées de la terre chilienne, tandis que la caméra doucement ballottée filme les versants escarpés et enneigés. L'écho sourd du craquement de la glace prête à s'écrouler arrache des frissons au spectateur. Nous y devinons à la fois le danger que recèle dans ses fissures les blocs de glace millénaire aux couleurs impossibles et sa mort lente, inexorable. Et que penser de cette Agua si terrible, si fascinante est peu à peu sclérosée par les hommes, comme le fut Jemmy Button ?
Pour la paix de ceux qui disparurent, je lancerai un bouton de nacre un jour, dans une fontaine. J'espère qu'à la manière de celui accroché à un rail au fond de l'océan, il contera un peu de mon histoire, ricochera sur celle d'autres pour être l'un des fils que l'on déroule à la mémoire des hommes.
En attendant, j'entends la voix de Claudio Mercado qui encore me chante les eaux...
[El Botón De Nácar de Patricio Guzmán, sorti en octobre 2015]
Tck.