mardi 16 novembre 2021

J'ai vu faner les fleurs et les monstres danser (O'Keeffe & Baselitz, expo)

La structure est léchée. Les couleurs dans de longs aplats où scintille sans doute un peu de blanc pour leur donner ce quelque chose de vaporeux, comme un voile déposé sur la peinture. Même lorsque ce sont des roches brunes et orangées, telles des boursouflures sorties de terre, il y a ce voile. Même sur les fleurs vulvaires, il y a ce voile. Il est partout ; sorte de maladie précoce du regard, qui empêche d'embrasser les toiles pleinement, qui tient éloigné, juste assez pour protéger l'artiste.


Elle qui a peint la douleur de ne pas avoir eu d'enfant, elle qui a montré dans les fleurs un érotisme démesuré, qui dans les déserts a fait exploser la masse corporelle des montagnes ; une violence pourtant pleine de pudeur. Ses fleurs ne sont pas charnelles. Elles sont glacées, leur corps rappelle les mannequins de magazines. Des bouches grandes ouvertes et stériles. Il en va de même pour ses roches qui pourtant sont généreuses en plis d'une chaire minérale.

O'Keeffe... Faut-il se plonger tout entier dans sa psyché pour comprendre la légère gêne ressentie face à son travail ? C'est beau ce qu'elle fait et pourtant, il y a suffocation. Même dans les larges salles, même devant l'étendue blanche d'une ligne d'horizon, on suffoque. Dans quelques toiles de fin de vie, elle parvient à s'apaiser pourtant. Mais pas totalement. Dans le fond d'une toile, à l'ombre d'un aplat, il y a un fantôme...

Quitter une telle exposition c'est laisser un morceau de soi sur le parterre blanc. Une poussière offerte à la grâce d'un crâne minéral.


J'ai froid de ton travail, O'Keeffe.


Le regard devenu calcaire, la main qui vacille après le spectacle des étendues déserte, on appuie son âme contre un des murs. L'inspiration profonde puis l'oeil est happé par une autre salle où le virage artistique est vertigineux. Agrégat de chairs gonflé d'un sang en peinture brunâtre. Des bouts de corps : pieds et poignets, os sortis de leur axe, dans l'étalage de toiles face à un mur nu et sans paroles pour se rassurer, tandis qu'au fond de la grande salle c'est une toile énorme où les spectres maigrelets de quelques figures observent sans voir, maudits par un drôle de strabisme et la cécité qui se dessine dans les pupilles blanchies. Ces personnages à la chair cadavérique ont de longs cous roses. Qui sont ces vers de terre à visage d'homme ?


Le pas chancelant, la bile qui remonte la gorge, on passe à la salle suivante où le Freak Show des corps mutilés est de trop... Un banc au centre de la pièce est le bienvenu pour se laisser tomber. Les peintures de Baselitz sont purulentes, douloureuses. Là où O'Keeffe avait la douleur froide, ici, on entend au contraire hurler la chair de la peinture ; le geste de l'artiste est lourd, accumule les couches, les couleurs. Le brun sale, la merde est présente.

Baselitz qui pourtant, dans les images d'archives semble être un beau jeune homme, à l'allure presque anglaise. Il a la tranquillité d'un visage bien fait, mais au fond de son crâne dansent des monstres....



[Expositions Pompidou : Georgia O'Keeffe (08/09/2021-06/12/2021) & Baselitz 20/10/2021-07/03/2022]

Tck.