De la glace à perte de vue et le nom d'un lieu oublié dans le nord de l'arctique, qui claque sous la langue : Solak. Solitude au fin fond du monde. C'est un écueil de la littérature, le huis clos par excellence : on enferme quelques personnages dans un décor inhospitalier et... on attend. Tout simplement. Qu'elle soit plume d'auteur ou de cinéaste, ces histoires se déroulent sans effort. Il suffit de regarder s'ébattre les émotions de ces pauvres hommes qu'on déposa là. Le tic tac de l'horloge devient alors un enfer pour ceux qui n'ont que le silence et le froid comme camarades.
Dans l'univers de Solak, la solitude est brisée par l'arrivée d'un nouveau venu, plus jeune et plus étrange, à l'oeil balafré. Mais à peine le voici, qu'il se fond en peu de pages dans le rythme lent de la base. Mangé par la neige, par la monotonie, par le grand rien. Et même quand un "Pater" le fameux ours polaire menace nos quelques âmes, un coup de fusil ramène l'ordre et l'ennui.
Et puis, hors des glaces qui crispent sous la neige, il y a l'inconfort de l'écriture, de mots qui surgissent et font naître une angoisse. Rien ne se passe à Solak, mais un vocabulaire de chair et de meurtre plane. Rien ne se passe à Solak, mais une tension grandit et le sang et les blessures sont si proches. Rien ne se passe à Solak... Est-ce vraiment le cas ?
L'homme épongé à l'alcool hurle son besoin de femmes et de distractions ; le balafré en dit peu sur lui, mais se plonge dans l'anthologie de Shakespeare et dans ses papiers jaunes, créant le malaise chez les autres ; un Grizzly poète parle de la complexité du monde, ses mots comme un flux infini d'abstraction...
L'ambiance de ce morceau d'arctique est similaire au pôle inverse, l’antarctique. Sont-ils voisins ces hommes à l'ennui alcoolisé ? On aimerait y croire. Ou alors ils se calquent les uns sur les autres, à des époques différentes. En lisant Solak on pense à The Thing. Le passage est obligé, parce qu’il y a les mêmes scientifiques, bouffés par la dépression. La même buée sort de leurs bouches aux relents de vodka et de gin. Le même manque de femme est claironné. Comme si la décadence était tapie dans l'envie de sexe et de foule.
Or, il y a toujours quelque chose d'ironique à observer l'écroulement de ces êtres. Souvent, les personnages isolés dans ces lieux ont eux-mêmes choisi leur monastère. Leur solitude n'est pas forcée au départ. Ils s'en gargarisent, eux les misanthropes. Ils n'aiment pas les gens, la société. Mais les années passent et ils regrettent. MacReady les yeux rivés sur sa radio n'attend-il pas au fond de lui d'échapper aux neiges de l'antarctique ? Et si c'est toujours la mort qui mettra fin au chaos des tempêtes hivernales, alors les mauvaises choses aussi, seront entraînées dans cette chute. The Thing n'est pas immortelle malgré ce qu'ils pensent… Le Pater également…
[Solak, Caroline Hinault, édition Rouergue Noir (??/05/2021)
The Thing, John Carpenter (1982)]
Tck.