La même semaine au cinéma (mercredi 6 novembre 2024) sortaient en salle L’Affaire Nevenka, un biopic relatant une affaire de harcèlement sexuel dans la politique espagnole des années 90, et The Substance, un digne représentant du body horror des plus truculents. Bien que diamétralement opposés, ces deux films traitent pourtant d'un même sujet : l’image de la femme.
Entre flashs stroboscopiques et musique techno à se mordre les lèvres de manière suave, The Substance nous rappelle, en deux heures intenses, qu’être une femme de plus de 50 ans équivaut souvent à être mise au placard. Ménopause, seins qui tombent, pattes d’oie, cellulite : autant de réalités que le patriarcat semble voir d’un mauvais œil.
Elisabeth Sparkle, star hollywoodienne au nom scintillant, est écartée de manière brutale de ce monde de paillettes qu’elle a toujours côtoyé. Trop vieille, plus assez belle, désormais inutile selon un lointain cousin de Denethor sans doute (du Seigneur des Anneaux), qui a abattu les trois quarts des mysophones de la salle à sa première apparition. Heureusement pour elle, Elisabeth met la main sur une substance étrange qui lui permet de donner naissance à la meilleure version d’elle-même : Sue, un double sexy et surtout… jeune.
Beauty Water, un film d’animation coréen sorti en 2020, utilisait un procédé similaire : un liquide dans lequel une jeune fille peu attirante devait se baigner pour obtenir un corps parfait. Dans les deux cas, les utilisatrices devenues sublimes et validées par la société choisissent de ne pas suivre les règles, et dès lors, sombrent irrémédiablement dans la disgrâce physique et psychologique.
Malgré l’horreur des corps altérés, il y a quelque chose de fascinant à suivre ces personnages qui se précipitent vers leur perte, totalement accros à leur nouvelle vie. Les actes extrêmes auxquels elles se soumettent ne sont pas si différents de la réalité. On peut faire un parallèle avec la chirurgie esthétique : aiguilles et substances aux effets parfois obscurs sont quotidiennement employées pour gommer les imperfections, créant de véritables addictions.
Martelée par l’image de jeunes femmes à la plastique parfaite, Elisabeth, comme tant d’autres femmes, finit par se détester et grossit l’ampleur de ses propres imperfections. Ce XXIe siècle semble celui de la dysmorphophobie, cette vision altérée de son propre corps. La scène la plus marquante du film, selon moi, n’est pas celle d’une énième esclandre de body horror, mais celle où Elisabeth se contemple dans le miroir, tentant de s’embellir pour son diner avec un vieux camarade, jusqu’à ce que surgisse en boucle le regard de biche et la bouche de rêve de Sue.
Cependant, une chose me chagrine dans ce long métrage. Malgré la qualité des images et les références à n’en plus finir à Kubrick, Society, Cronenberg et autres maîtres du body horror, je me suis demandée tout du long ce que The Substance cherchait vraiment à dire pour mériter la palme du scénario. Soyons honnêtes, le film ne fait que tirer sur l’ambulance. Nous savons tous que la société est dure avec les femmes, que le cinéma et la télévision flirtent dangereusement avec la sexploitation. Tout cela est évident. Bien qu’il soit pertinent de l’exposer jusqu’à la nausée, je regrette l’absence de réelle profondeur dans le personnage d’Elisabeth, avec qui nous restons finalement en surface. Deux sursauts d’audace, liés à sa peur de la solitude et à son auto-flagellation, sont finalement noyés sous les effets de style et les hectolitres de sang.
De plus comme le film ne fait que plonger encore et encore sans jamais s’écarter de son rail, je ne vois pas trop quelle morale en tirer. D’autant que jusqu’au boutisme le personnage d’Elisabeth est humilié. On repassera plus tard pour redorer l’égo des femmes hein.
Cela dit, bien que je sois dure avec ce film et que je remette en question la profondeur de son scénario, paradoxalement, je ne peux nier qu’il soit mille fois plus percutant qu’Anora qui lui, a remporté la palme d’or à Cannes. Mais ça n’engage que moi !
[The Substance de Coralie Fargeat, 2024
Beauty Water de Cho Kyung-Hoon, 2020]
Tck.