Il y a un jeune indélicat au visage creusé, les joues grelottantes de boutons d’adolescent et ce regard grand, si grand… Aussi grand que son chapeau rapiécé (la photo est visible dans l'exposition à l'Orangerie).
Sam Szafran prononcé « safran », le turbulent… Enfant né en 1934, d’immigrés polonais, juifs aussi. Caché pour échapper aux rafles, il n’a pas eu l’éducation qui aide à entrer dans les rangs. Difficile, indomptable, incapable aussi de travailler avec d’autres. Capable par contre de danser de piaule en piaule prêtées par les copains.
Garçon de peu de moyens, avec la rage d’exprimer le difficile. Il dessine, il a la témérité du gueux qui souhaite s’en sortir. N’a pas l’orthographe nécessaire pour entrer dans une institution scolaire comme celle des Beaux-Arts.
On a envie de raconter la vie de Szafran. Elle est faite d’embûches, elle a ce charme du pauvre qui a brisé le plafond de verre et s’est élevé dans les hauts rangs de l’art.
Cet art justement, puissant, mais pas foisonnant, parce qu’il est un artiste de la lenteur à la virtuosité technique. Le musée de l’Orangerie, dans l’exposition qu’elle propose du 28 septembre 2022 au 16 janvier 2023, joue de peu de salles, mais d’assez de dessins et d’oeuvres, pour nous émouvoir jusqu’à l’os quand il s’agit d’apprécier la guerre d’un homme face aux grands formats.
Cette guerre d’identité existe dans le fond de ses dessins. Ce besoin d’user de sujets difficiles, comme l’escalier qui devint une obsession où la torsion des rambardes et des marches exprime le talent de Szafran. Peut-être que cette confrontation à la difficulté le renvoie à sa difficulté d’être, comme dirait Cocteau. Se prouver et prouver sa force à appartenir au monde tout en restant en marge. Parce que Szafran s’enorgueillit de ne pas entrer dans le cadre. Travaillé de commun dans une imprimerie, il n’en aura la capacité que durant 3 années, desquelles il titrera de merveilleux dessins au pastel sec. Virtuose du bâton, de la poudre volatile qui l’obligera à accrocher ses dessins sur de grands chevalets penchés en avant, pour que la poudre tombe au sol plutôt que sur le dessin déjà en cours.
Un motif se répète dans son travail : celui des lieux personnels, de l’atelier, de la chambre, de son travail. Il creuse l’intime, le sien, en détails foisonnant. Jouisseur de la représentation de ses pastels, Szafran fera sourire les artistes, lorsque se déploient les presque 2 000 nuances de bâtonnets. Peut-être que la sensibilité de son travail se cache là : dans ce double mouvement de l’artiste qui s’amuse et de l’artiste qui se brise dans l’avancement lent, si lent, du pastel… Il faut imaginer que ses dessins font au moins 150 cm de haut, 100 cm de large. Le geste de la main précis dans le tracé, pour écraser le pigment. Le regard aiguisé dans la représentation architecturale.
Et, toujours dans sa perpétuelle envie de se renouveler, de se défier de sa propre main et de sa maîtrise, Szafran fera entrer l’aquarelle, causant le paradoxe magnifique d’une technique sèche et d’une technique humide. Combat dans le dessin qui nous apparaît pourtant dans un fondu délicat et sensible.
Mais enfin, comment parler de Szafran sans évoquer Giacometti ? Ce dernier qu’il rencontre dans le courant des années 60 serait son maître officieux. On ne s’étonne pas. Car quand l’un cherche la vérité dans un nez, l’autre semble la travailler au coeur et au corps du pastel… Et c’est beau.
[Exposition musée de l'Orangerie : Sam Szafran (28/09/2022 - 16/01/2023)]
Photos issues d'internet...
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Tck.