Quel regard cynique n’a-t-il pas remarqué la lente chute du monde vers un Disneyland total ? Les villes plus vieilles comme Rome, Paris, Venise deviennent un théâtre ridicule du paraître plus que de l’être. Les figures poudrées sur les tableaux du château de Versailles se désespèrent devant l’attroupement des touristes armés de leurs téléphones et de casquettes.
Là encore, les regards peints écaillent de leurs soupirs l’huile qui les coucha sur toile.
Rome devient le bastion des pique-niques au milieu des ruines. Et que dire de Venise ? Grand-Guignol par excellence où, il n’y a d’habitants que ceux qui travaillent au divertissement des étrangers.
Venise encore, ville immergée où la mafia à la main mise, où tout est maquillage. Que reste-t-il de cet endroit mort-né ? Tout y est faux, tout y est signe de purgatoire. On vient, on voit, on part ; il n’y a que des photos et la balade sur les canaux où se croisent mille personnes au bob vissé sur le crâne. Jamais Casanova n’aurait pu s’échapper en toute discrétion de sa prison. Il se serait fait prendre en photo, pour finir noyé sous les péniches qui courent.
L’essai des éditions Exils, au titre long comme le bras, porte l’amertume de celui qui sent le fumé pestilentiel de la distraction. Venise petite ville factice n’est que la sublimation des turpitudes de notre société. En signant les RTT, en balayant le travail en voulant toujours plus de temps libre, sans conscience, alors ruine de l’âme s’y fait.
L’oeil dévore les paysages fantaisistes, les touristes s’immergent dans la musique des Disneylands. Le rêve du plastique, du made in china ; les rêves du faux, génération des désirs à petit budget (et budget il y a, car tout est achetable maintenant).
Et la beauté de l’essai où la comparaison se joue jusque dans les espaces d’expositions. Alors est remis en question un lieu comme l’Atelier des Lumières, où sur d’immenses murs sont projetés les Van Gogh, les Monet. Tout se doit d’être immersif, ultra-visuel, ultra-technique. Bientôt le casque VR aura valeur d’art dans sa finitude. L’original disparaîtra dans sa tourbe. Et nous penserons à Walter Benjamin, main sur le coeur, lorsque dans son essai l’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité, il questionnait déjà l’aura des oeuvres, leur essoufflement…
[Authentique rapport de la nécessaire disparition de Venise de Casanuova, édition Exils (2021)]
Tck.