mercredi 12 novembre 2025

Fureurs secrètes

Il y a des livres à motifs. Motif floral, musical. Et ceux qui tricotent le récit d’une vie avec sa mélancolie douce. Le Bel Obscur est un mélange de tout cela, un bouquet fascinant d’une existence en recul, l’effacement d’une femme derrière la vie débridée de son mari, un homosexuel loin d’être refoulé.

Une fille à PD comme ça se disait dans le temps. Mais jamais dit avec autant de vulgarité. Notre narratrice est plus douce et délicate dans la mention de son rôle. Et ce qui est beau et triste c’est que justement, elle n’est pas grand chose. Il n’y a pas de statut pour ces femmes mariées à un homosexuel. Ces femmes qui restent avec leur conjoint, le soutiennent et font écran au monde, pour que personne ne sache, du moins ne s’introduise dans leur intimité.

Et que reste-t-il d’intimité sinon des balbutiements maladroits, une colocation de mauvais genre où viennent et vont les amants de passage. Et elle, la narratrice poussée sur le bord du chemin, forcée froidement à retrouver sa liberté, à faire ce qu’elle souhaite de sa vie.

Il y a un relent cruel dans ce récit, dont seuls les hommes savent se faire maître. En miroir de sa propre vie, Vincent voudrait que sa femme expérimente la même liberté, rencontre du monde. Rien n’est si simple. En creux, la mère a fomenté une éducation religieuse, un étau de « bonne fille à marier » qui n’aide pas à s’émanciper.

Et puis, dans le réconfort de ses morts, la narratrice farfouille la vie et la mort d’Edmond, un aïeul décédé vers trente ans. Accident ? Suicide ? Elle ne sait pas trop, penche peut-être pour l’un, imagine sa vie, suppose que son air précieux, les quelques mots abandonnés sur un coin de papier, des bruits de couloir comme quoi il aurait déçu sa mère sont tout autant de prétextes pour une disparition fantasque.

Et d’hommes toujours il s’agira. Ceux derrière qui elle s’obstine à disparaître, se flagellant d’être là, à se mettre toute seule en colère, comme elle le dit au début du roman, envolée derrière l’excuse d’un buddleia.

Récit d’une femme donc, d’elle et de beaucoup qui n’ont pas besoin je dirais d’être femme d’un homme qui ne les aime pas pour être reléguée à l’arrière plan parce que « pas assez », parce que « trop. »

Ça et puis c’est drôle, au long de la lecture, une petite pensée pour la chanteuse Meimuna et sa chanson « fureurs secrètes » m’est venue.

On m'a déjà dit
Faut pas vouloir
Être toute la vie
Son propre rival


[Le Bel Obscur de Caroline Lamarche, éditions le Seuil,  22/08/2025
Fureurs Secrètes de Meimouna 2024
]

Tck.