vendredi 23 septembre 2022

Füssli, peintre de la langueur

C’est déjà un nom comme une drôle de musique. Un souffle léger et suisse que celui de Füssli, né de ce pays en 1741 puis résident britannique jusqu’à sa mort en 1825. Un homme qui traversa tout un siècle vécut près de 84ans dans l’aisance même, donnant un caractère quelque peu grotesque à tout son travail de peinture inspiré des tragédies shakespeariennes !

Füssli c’est aussi un nom qui ne résonne pas dans les oreilles françaises et pourtant tout le monde le connaît, par un tableau notamment, inscrit dans les livres d’histoire ou de français : le cauchemar. Une peinture à l’huile où une jeune femme étendue semble endormie, un étrange démon recroquevillé sur son torse tandis qu’un cheval au regard fou apparaît en fond. Cette peinture mystérieuse à la lumière blafarde, Füssli l’a déclinée en plusieurs tableaux que nous avons la chance de contempler à Jacquemart André, du 16/09/2022 au 23/01/2023.

Alors, là où le parquet ce musée craque à souhait, non loin des champs Elysées, quelques pièces s’ouvrent sur les peintures théâtrales… S’y succèdent des scènes tirées de Macbeth de Shakespeare, mais aussi de la mythologie, comme un dessin à la construction féroce, représentant le pauvre Achille le dos brisé dans la tentative de retenir l’âme de Patrocle…
Füssli est donc ici et il montre son art aussi bien dans de grandes toiles de plus d’un mètre de haut que dans des productions plus intimes.

Il faudra se pencher sur ses esquisses, à l’encre et lavis ou au simple crayon, pour y lire les prémisses des yeux profonds, des arcades sourcilières presque sculpturales. Quand la main n’est plus encombrée par le pinceau, mais approche la vivacité d’un geste par le crayonné, on est là oui en historien de tableau à reconnaître dans l’ombre d’un oeil cave, la courbe d’une hanche nonchalante, toute la genèse des oeuvres à venir.
Les esquisses m’apparaissent dès lors plus belles matrices que les peintures elles-mêmes. Le Achille de Füssli, revenons-y encore. Quel transport devant ce torse à la musculature tendue, au dos près à se rompre, cette pose comme un « w » tandis que Patrocle dans une langueur d’être appartenant à l’air et à Chiron, se glisse hors des doigts de son malheureux amant…

A contrario de cette puissance nue de tout artifice, un Roméo et sa Juliette sont presque caricaturaux lorsque cette dernière, présentée au moment de sa mort, le visage renversé, aborde un nez aquilin et cerné d’un grisé architectural, idem pour ses yeux. On retrouvera le même visage dans la représentation de Dieu, dans le tableau d’Adam et Ève chassés du paradis. Ses yeux levés plus haut encore, la moue de sa bouche… J’ose croire que si c’était une animation, il serait en train de rouler des yeux devant l’apitoiement de ses humains.

Ce vacillement entre tragédie des sujets et sorte de théâtralité de la représentation, fait de Füssli un peintre qu’on peut facilement apprécier aujourd’hui ou a contrario ne pas aimer. Dans leurs souffrances, ses personnes ont les courbes de la langueur et l’attente d’une amoureuse. Si on y apprécie le romantisme qui s’en dégage, on pourra également regretter le manque de ligne plus dure, de regards pleins de feu comme chez un Rembrandt, chez un Caravage où le pathétique et la tragédie sont à peine figés sur la toile.

Mais il faudra tout de même applaudir l’élégance des compositions. La candeur d’un berger assoupi avec un ciel haut et une petite lune qui brille ; l’épouvante d’une Catherine dans un couloir, le visage verdâtre sous le flambeau, ceint des ombres de la nuit…

Füssli enfin, peintre adoubé pour ses représentations à la frontière du fantastique. Somme toute, on pourra aussi l’appeler le peintre de la langueur…

[Exposition Jacquemart André : Füssli  (16/09/2022-23/01/2023)]
Photos personnelles prises lors de l'exposition.

Tck.