Ils sont là avec leurs airs juvéniles. Mineurs, souvent, le visage doux. Seul leur regard les trahit, car la mort y danse sur fond blanc.
Personnages de romans, pourrait-on se dire. Des sortes de Dorian Gray à la physionomie charmante et l’âme ténébreuse. Ils sont trop beaux, trop souriants, trop mélancoliques. Des Werther en devenir. Nous les aimons, sommes fascinés par ces meurtriers aux jolies boucles encore gainées de l’enfance. Ce sont des anges à la manière de Carlos Robledo Puch, tueur en série argentin, de moins de 20 ans, qui remit en question la physionomie acceptable des meurtriers. Peut-on être beau et assassin ? Est-ce qu’être tué par un joli minois est plus acceptable que par un Joseph Vacher (si bien renommé Joseph Bouvier dans le Juge et l’Assassin).
Carlos Robledo Puch |
Pourquoi ? C’est une question simple et naïve. « Pourquoi avez-vous fait ça ? » Que se passe-t-il dans la tête d’un adolescent de 17 ans, pour en venir à ça ? Les tueurs interrogent l’humanité tout entière. Le pourquoi est la question universelle par excellence. De la France au Japon, en passant par l’Amérique, on se demandera toujours, pourquoi ?
Vincent Le Port, réalisateur du film au titre éponyme au nom du tueur, ne donne pas de réponse. Cependant, il a creusé les carnets du jeune meurtrier, les a transposés à l’écran, a déroulé le fil d’une existence paysanne où Dieu est important où les pulsions sont beaucoup trop présentes. Il dépose un regard simple sur cette histoire, de plans sans pathos, à la lumière fraîche, voire glacée des villages de campagne, des prisons dépouillées. Bruno Reidal, joué par l’excellent Dimitri Doré a le visage terrible. Ses joues sont encore gorgées d’adolescence, sa bouche porte le pli des enfants. Mais ses yeux, eux… Ils se cachent dans l’ombre de ses arcades proéminentes. Ses cernes creusent les joues, forment une croix sur sa figure pâle. Et la voix d’enfant qui s’expulse une première fois, hors de sa gorge, étonne. La face meurtrie a la tonalité enfantine, une cloche vocale encore empreinte d’innocence.
Il y a sans doute, dans la manière de dresser ce portrait quelques inspirations du film Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… de René Allio. Et Pierre comme Bruno portent en leur sein le même mystère. On a bien du mal à comprendre le sens de ce passage à l’acte. On se passionne à le décortiquer, sans trop savoir où ça mène. Vincent Le Port nous ballotte au gré des souvenirs de Bruno Reidal et nous laisse pantois, comme la police et les médecins de l’époque.
Finalement, la cruauté d’un meurtre réside sans doute davantage dans l’incompréhension du geste que dans l’horreur de la scène de crime. Et, devant la froideur du visage de Bruno, devant le malaise qu’inspire sa pose gauche à l’épaule plus basse que l’autre, on s’en veut d’être incapable de haïr ou d’avoir pitié. Une drôle d’indifférence nous prend. Qu’il vive ou qu’il meurt nous importe peu. Il n’y a qu’un pourquoi, qui vaille.
… Mais méfiez-vous toujours « de ces fous qui violentent et signent leur acte pervers, en taillant à même la chair, de leurs victimes innocentes. » (Jean Roger Caussimon, dans le Juge et l’Assassin de Bertrand Tavernier).
[Bruno Reidal de Vincent Le Port, sorti le 23/03/2022
Photo du tueur Argentin Carlos Robledo Puch
Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère... de René Aillio, sorti en 1976]
Tck.